Le Musée du Peigne et de la Plasturgie d’Oyonnax, dans l’Ain, a été créé en 1977 et installé en 1986 au Centre Culturel Aragon de la ville. Le lieu, niché au cœur de la Plastics Vallée, abrite pas moins de 16 000 objets, couvrant le 19è siècle avec les premiers plastiques en cellulose jusqu’aux années 60-70 ainsi que de l’art contemporain. Un important fonds mobilier lié au design des années 1990 et des machines utilisées pour la plasturgie y sont également présentés. Le Musée du Peigne et de la Plasturgie est très réputé pour ses collections d’ornements de coiffure du monde entier et a également pour mission de faire connaître les applications des matières plastiques dans les domaines du design, de la mode et des arts décoratifs. La ligne éditoriale est tournée vers l’histoire industrielle d’Oyonnax autour du bois, de la corne et du plastique. Il abrite entre autres une collection de montures de lunettes remontant aux années 1926 ainsi que plus de 800 peignes issus de la collection privée de Robert Bollé en provenance de nombreux pays du monde. Cette collection rare présente l’évolution du peigne à travers les époques et les cultures: peignes antiques en os finement sculptés ou encore de style oriental. Chaque ornement nous transmet une histoire unique, témoignant des traditions et des savoirs-faire ancestraux.
La genèse: du buis à la corne
Historiquement, Oyonnax était un petit bourg agricole assez pauvre de 800 habitants à la fin du 18è siècle. En hiver, pour gagner un peu d’argent, on y fabriquait des petits objets en buis grâce aux forêts environnantes. Ce bois très dur et très dense a permis de fabriquer des « décrassoirs » ou peignes à poux à double rangée de dents. Les artisans, appelés les « peigneux », s’asseyaient à califourchon sur un âne ( petit siège de travail) pour scier, raboter et limer chaque dent de peigne à la main dans chaque petite plaque de buis. On retrouve des illustrations dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d’Alambert du 18è siècle décrivant le travail et ses outils. Les archives les plus anciennes datent du 17è. Les fabricants allaient vendre leurs objets au printemps en faisant du colportage ou se rendaient à côté de St Claude dans le Jura où se trouve une importante abbaye consacrée aux pèlerinages. Peu à peu le buis se faisant rare à force d’être exploité, la corne le remplacera progressivement. Oyonnax aura une étonnante capacité à se renouveler et à changer de matériaux en transférant les savoirs-faire sur le travail de la corne. Cette matière, de forme conique, était difficile à manier pour fabriquer un peigne. On la mettait d’abord à tremper pour la ramollir puis à chauffer sur des petits poêles et on la fendait pour ensuite l’aplatir dans une petite presse.
Les plastiques naturels
La corne est un matériau vivant et le peigne créé avec cette matière n’est pas toujours droit car il a tendance à reprendre sa courbure d’origine.
Les artisans locaux ont créé par ailleurs des objets décoratifs ainsi que des créations en lunetterie ( parmi eux on retiendra Paulette Guinet, créatrice de lunettes fantaisie dans les années 50-70 à Oyonnax).
Tout matériau susceptible de se déformer par l’intermédiaire de la chaleur ou d’une force extérieure est considéré comme » plastique naturel » qui se durcit en refroidissant. Les fabricants d’Oyonnax vont monter à Paris dans le cadre de l’exposition universelle pour y présenter des articles en corne. Ils découvriront sur des stands voisins des créations en celluloïd. Une société américaine, fabriquant des boules de billard en ivoire, va lancer un concours à qui trouvera une nouvelle matière pour remplacer ce matériau devenu rare et trop cher. Deux frères américains découvriront le Celluloïd qu’ils importeront à Oyonnax. Cette matière était alors encore peu connue et assez chère. Plusieurs industriels vont donc se regrouper pour la fabriquer. La découpe des ornements de coiffures en corne va s’adapter à celle des ornements en celluloïd. Il s’agit d’une matière d’imitation de l’ivoire, des écailles de tortue et de la corne. Il faudra attendre les années 1925 pour que cette matière s’enrichisse de couleur. La période de l’Art Nouveau au début du 19è siècle révèlera un florilège de peignes et d’épingles travaillés comme des bijoux.
Le peigne mantille va se développer, notamment avec une grosse demande des espagnols pour la semaine sainte et d’autres grands événements. La forme de ce peigne peut aller de 15 à 40 cm de hauteur, demandant un important travail de découpe. Auguste Bonaz, un fabricant important d’Oyonnax, fut un grand créatif gardant l’esprit de l’artisanat avec un sens aïgu du marketing avant l’heure entre les années 1900-1920 en s’entourant de graphistes de renom. Auguste Bonaz était le fils du bijoutier César Bonaz. Né dans l’est de la France en 1877, Auguste fut formé par son père à la joaillerie. En 1900, il reprendra la direction de l’atelier paternel à Oyonnax. Il va ainsi fonder vers 1912 la maison de bijouterie Bonaz au travail innovant et d’avant-garde. Ses premiers bijoux sont en corne, matière qu’il délaisse avec l’apparition du celluloïd offrant des qualités esthétiques semblables aux matières naturelles. Bonaz a créé des formes très contemporaines d’inspiration mauresque et a travaillé également sur des peignes de côté. Dans les années 20, quand les coiffures à la garçonne arrivent, le peigne tombe en désuétude et les industriels se lanceront dans l’aventure lunetière.
Introduction de la Bakélite
L’industrie s’orientera ensuite vers la Bakélite, un plastique totalement synthétique et thermodurcissable développée entre 1907 et 1909 par le chimiste belge Léo Baekeland.
Le musée a reconstitué un petit atelier de fabrication du début du 19è. La technique utilisée consiste en la superposition de 4 plaques de matière sur lesquelles on colle le dessin qui va être découpé à la scie sauteuse. Ensuite les découpes partent au tour à canneler pour enlever les traces de scie et leur donner de l’arrondi, puis au polissage et ensuite dans les vapeurs d’acétone pour obtenir de la brillance. Les épingles sont courbées sur une plaque chauffante pour prendre la forme du crâne. En 1900 on travaille avec de l’acétate de cellulose qui est moins inflammable. Aujourd’hui à Oyonnax c’est ce qui est utilisé pour les ornements de coiffure et les montures de lunettes travaillés en « Fait main ». La troisième matière inventée à base de matières naturelles sera la Galalithe réalisée à partir de caseine de lait et du formole. Cette matière très dure ne se moule pas mais se colore magnifiquement pour des bijoux, des boutons, des fume-cigarettes. La Bakélite constituera la première matière synthétique. Dans les années 1937 on inventa la presse à injecter en partant de granulés injectés dans un moule chauffé.
Une importante donation de Paco Rabanne
.Après s’être lancé dans les années 60 dans la fabrication de bijoux fantaisie avec des feuilles d’acétate de cellulose, le designer va créer des lunettes et des peignes avant de se lancer en 1966 dans la Haute couture. Sa première collection s’intitulera « Les robes importables en matériaux contemporains ». Paco Rabanne se fera connaître notamment avec une robe faite à partir de petits morceaux de Rhodoïd portée par Françoise Hardy en 1967. Il travaillera sur le détournement d’objets: gobelets en polystyrène, disques laser, ventouses et grillages. En 1996 le styliste fera don au musée de créations Haute couture entièrement ou partiellement réalisées à partir de matière plastique. En 2022 une exposition lui sera consacrée au Musée du Peigne et de la Plasturgie. On remarquera tout particulièrement son iconique robe réalisée avec des gobelets en plastique. Dans les années 1995 Paco Rabanne se concentrera sur les matières plastiques souples. Il découpe des lanières de plastique tissées ou assemblées par rivetage, il plisse le PVC dont il utilise la transparence ou celle du verre acrylique.
Le tout plastique des cuisines de 1950 à 1960
Les industriels spécialisés dans la plasturgie vont rapidement s’intéresser au secteur des arts ménagers. Les ustensiles ménagers vont être dynamisés et égayés grâce au plastique et ses couleurs franches. La praticité, la légèreté et le bas coût du plastique séduisent le plus grand nombre et dès la fin de la seconde guerre mondiale les industriels oyonnaxiens vont produire une multitude d’articles ménagers. La grande distribution s’engouffre dans ce créneau porteur, synonyme d’un nouveau mode de vie encouragé par l’avènement de la grande consommation.
Le design autour du mobilier
Une très belle section dédiée au mobilier et au design en plastique permettra au public de (re) découvrir l’iconique chaise Panton et sa forme en S créée par le designer danois Verner Panton. Cette pièce ,conçue à l’origine en résine, constitue la 1ère chaise monobloc réalisée en plastique moulé. Il fallait concevoir une matière assez résistante, acceptant les contraintes de la production industrielle. Le modèle présenté constitue la version définitive en polypropylène de 1999. Le fauteuil en résine de polyester RAR rocking armchair rod de Charles et Ray Eames est également présent dans la collection du musée. L’éponyme tabouret vintage TamTam krystal candy, en plastique a lui été conçu par le designer Henry Massonnet en 1968, symbole du triomphe du plastique dans l’industrie du mobilier des années 60. La création est désormais appliquée à la série. Les plastiques synthétiques qui sont moulés dans divers coloris servent à la création de chaises pour des industriels tels que Grofillex.
La Grande Vapeur , un monument historique à vocation muséale
La Société de l’Union Électrique qui avait des parts de marché sur l’électricité à Oyonnax fut à l’initiative de ce bâtiment emblématique pour marquer son territoire. L’architecte Auguste Chanard réalisera cette usine modèle à l’aspect esthétique évident, tout en ayant un cahier des charges exigeant afin d’éviter des incendies à cause de l’utilisation de celluloïd. L’architecture se déploie en V et est reliée par une rotonde centrale déclinée sur 2 étages. Le bâtiment compte 60 cabines de 9 mètres carrés qui accueillaient des ouvriers indépendants travaillant le peigne. Ils louaient pour une quinzaine de jours ou un mois ces ateliers et bénéficiaient d’une arrivée électrique ( système hydro-électrique) pour entraîner leurs machines ( tours à canneler et à poncer) et d’un système d’extinction d’incendie avant-gardiste à partir des terrasses : le système de sprinklage. Le plan de travail était alors entouré de rigoles d’eau dans lesquelles l’artisan jetait les objets qui prenaient feu. Cela répondait à un système de travail pratiqué exclusivement à Oyonnax. Chaque porte d’atelier comportait une minuscule ouverture en losange pour l’aération des cabines et en même temps pour empêcher toute tentative d’ » espionnage » d’un atelier à un autre. Au rez-de chaussée subsistent encore de grands bassins de lavage communs. La Grande Vapeur a été inscrite comme Monument historique en 1988 et est présagée pour abriter dans le futur, l’actuel Musée du Peigne et de la Plasturgie.
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Musée du peigne et de la Plasturgie
Centre Culturel Aragon
88 Cours de Verdun-01100 Oyonnax
Tel. 04 74 81 96 82
www.oyonnax.fr
Horaires: Du mercredi au samedi de 14h à 18 h
Les expositions de 2024 au Musée:
Du 18 Mai au 14 septembre Carnets de voyage de Samarkand à Oyonnax conçus par l’artiste Jean -Claude Allard emmèneront le public dans un très beau parcours de croquis et d’aquarelles.
Dès le 15 novembre Benoit Mazzer proposera sa fabrique de paysages travaillés autour des matières et des textures.
Musée de La Grande Vapeur
62 Rue Anatole France,01100 Oyonnax
Tel. 04 74 77 00 06
Visite guidée gratuite de La Grande Vapeur et Exposition Jean-Noël Grivat le mardi 22 août à 15 h
LES JOURNÉES EUROPÉENNES DU PATRIMOINE
Samedi 21 et dimanche 22 septembre de 14h à 18h
Visites commentées du patrimoine industriel de la ville, de la Grande Vapeur.
Exposition Jean-Noël Grivat à la Grande Vapeur. Un lieu, une œuvre.
Entrée libre
Remerciements à Virginie Kollmann-Caillet, Conservatrice du Musée du Peigne et de la Plasturgie ainsi que Nathalie Quesney et l’Office de Tourisme Haut Bugey.
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