Vincent Giovannoni, conservateur au Mucem et Macha Makeïeff, ancienne directrice de La Criée, Théâtre national de Marseille nous invitent à un voyage singulier avec leur ouvrage En Piste! Clowns, pitres et saltimbanques. Ce beau livre publié aux éditions de La Martinière ,accompagne l’exposition du même titre au Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille, du 4 décembre 2024 au 12 mai 2025. Différentes voix venues de la littérature, des arts mais aussi de la philosophie, nous racontent  l’univers foisonnant du cirque. Macha Makeïeff, inspirée par plus de 45 000 objets entreposés au Mucem s’emploie à nous partager une galerie de talents mêlant poésie et destins de légende. Ici la solitude succède aux jeux de l’allégresse et de l’illusion du spectacle s’évanouissant quand s’éteint le chapiteau. Macha Makeïeff pose un regard troublé par la fragilité de l’itinérance et du destin forain.

 

 

 Des origines maçonniques du cirque

La piste sous le chapiteau est délimitée comme un espace sacralisé, tel un temple maçonnique. Au 19è siècle, les itinérants, afin de trouver un appui dans les villes où ils se produisaient, étaient très souvent des  » initiés ». La montée d’une puissante diaspora se constitua en se produisant dans des lieux de prestige. On peut citer quelques personnalités historiques telles que Buffalo Bill,  les frères Ringling, le clown Grock ou encore Achille Zavatta. Pascal Jacob, collectionneur et historien du cirque, évoque le rôle important des initiateurs du cirque moderne, écuyers pour la plupart. Le cavalier anglais Philip Astley, fort de son grand succès outre-Manche, sera initié en 1787 au sein de la loge Tempérance. La délimitation idéale du cercle de la piste autour de laquelle se déploie le public fera étrangement référence à l’architecture des loges maçonniques. Contrairement au théâtre à l’Italienne, l’espace sphérique du cirque est à l’initiative d’une véritable démocratisation du spectacle.

 

De l’enchantement des saltimbanques aux « Freaks shows »

Le saltimbanque incarne celui qui vient d’ailleurs, suscitant tour à tour la méfiance puis la curiosité. Il s’inscrit dans l’image de celui qui a parcouru les routes du monde, partageant des aventures hors du commun par l’enchantement de la musique, de la danse et autres formes artistiques. Le saltimbanque a revêtu de multiples identités au fil de l’histoire: tour à tour jongleur au Moyen-âge, il est devenu durant la Renaissance en Italie   » sauteur sur une petite estrade  »  ou encore danseur de corde devant une simple toile tendue. Au 19è siècle, les saltimbanques s’implanteront comme banquistes, espace de jeu en plein air délimité par des bancs dans les champs de foire, y présentant des galeries exotiques de curiosités ainsi que des personnes hors norme. Le film  » La Monstrueuse Parade, » ( « Freaks » en anglais) réalisé par Tod Browning en 1932 y fait largement référence. Le cirque Barnum de New York en fera une de ses principales attractions.

 

 

Alfred Court, saltimbanque de renom

Fils d’un industriel marseillais à la tête de la savonnerie l’Abeille qui fera faillite, le jeune Albert, à peine âgé de 15 ans, deviendra champion de gymnastique et excellera aux barres fixes. Il fuguera avec un cirque où il sera tour à tour saltimbanque et dresseur de fauves. Alfred créera, avec son frère Jules, un grand cirque à Marseille de 4000 places en 1909 et fera des tournées internationales. Il se liera d’amitié avec John North Ringling, directeur du célèbre cirque américain. La confrontation aux animaux sauvages et exotiques fait fortement référence au cirque romain où la confrontation aux différents dangers est idéalisée par la mise en scène. Le cirque animalier déclinera progressivement et on assistera à la fermeture en 2017 du géant du cirque américain Barnum.

 

 

Les loges suivent les chemins du cirque

L’itinérance des gens du cirque a toujours fasciné. De nombreux écrivains furent inspirés par cet univers tels que Baudelaire, Flaubert ou encore Huysmans. Edmond de Goncourt écrira en solo Les Frères Zemganno (1879). Son livre dépeint le parcours de deux frères acrobates ayant passé leur enfance en roulotte sur les routes de France. Edmond de Goncourt y évoque :  » L’habitation roulante où le saltimbanque naît, vit et meurt et où entrent successivement l’accoucheuse et le fossoyeur… ».