L’exposition Elles, les élèves de Jean-Jacques Henner est présentée jusqu’au 28 avril prochain au Musée national Jean-Jacques Henner. Cet ancien hôtel particulier du 19è siècle devint le musée-atelier insolite consacré à l’œuvre du peintre né à Bernwiller en Alsace. Durant la seconde moitié du 19è siècle, les artistes peintres femmes avaient peu de possibilités pour se former. En effet, l’école des beaux-arts leur était interdite car il était jugé inconvenant d’être présentes devant des modèles masculins nus dans une société encore très traditionnelle et aux préjugés limitants. Les écoles municipales de Paris, quant à elles, ne formaient qu’au dessin et à la peinture sur porcelaine. Ce n’est qu’en 1897 que les règles seront assouplies et que les beaux-arts ouvriront leurs portes aux femmes artistes.
Des élèves sous l’égide du peintre Jean-Jacques Henner
Pas moins de 152 femmes peintres ont été les élèves de Jean-Jacques Henner dans son atelier privé situé au11 place Pigalle ainsi qu’à l’atelier des dames au 18 boulevard du Montparnasse (de 1874 à 1876). L’atelier sera ensuite délocalisé au 17 quai Voltaire (de 1877 à 1889). L’exposition, sous l’égide de Charles Villeneuve de Janti, commissaire général ainsi que de Maëva Abillard, conservatrice du musée et de son assistante Marie Vancostenoble, aborde différentes thématiques. Les visiteurs découvriront une sélection de 10 femmes élèves du maître alsacien présentant leur apprentissage et parcours personnel.
Plus de 90 tableaux mais aussi bon nombre de dessins, de correspondances et de photographies mettent en lumière le quotidien d’artistes qui s’appelaient Dorothy Tennant, Germaine Dawis, Juana Romani ou encore Marie-Cayron Vasselon pour n’en citer que quelques-unes. Les carnets de dessin de Marie-Cayron Vasselon sont présentés au public grâce à un dispositif numérique permettant de feuilleter ses croquis. Ces documents témoignent de l’atmosphère de travail qui régnait dans les ateliers souvent exigus où étaient réunies pas moins de 20 élèves qui s’entraidaient. Marie-Cayron Vasselon a croqué de nombreux portraits de ses camarades dans une approche journalistique. Deux autres bornes sont consacrées à des documents sonores accompagnés d’une sélection de témoignages et de contenus de lettres lus par les élèves du conservatoire Camille Saint-Saëns de Paris. Ce dispositif utilise une technologie innovante fondée sur le principe de la conduction osseuse par simple contact des coudes sur la plaque de verre des bornes et en plaquant les mains sur les oreilles pour la transmission sonore.
Ottilie ROEDERSTEIN, Madeleine Smith peignant Jeanne d’Arc, vers 1890, huile sur toile, Paris, Fondation des Artistes © Fondation des artistes
L’atelier des dames, né d’une amitié entre Jean-Jacques Henner et Carolus Duran
Jean-Jacques Henner et Carolus Duran s’étaient rencontrés en Italie alors que le premier venait d’obtenir le prix de Rome. Durant ces années qui les liaient, les deux peintres réalisèrent leur portrait mutuel. Carolus Duran sollicitera son ami pour ouvrir le fameux atelier des dames en 1874 situé au 81 boulevard du Montparnasse..
Portrait de Jean-Jacques Henner par Carolus-Duran (1891)
Marie Vancostenoble, assistante à la conservation du musée Jean-Jacques Henner:
Henner avait certainement une volonté lucrative en créant cette école car à l’époque les femmes peintres n’avaient pas d’autres moyens de se former, n’ayant pas accès à l’école des beaux-arts exclusivement réservée aux hommes. Le coût des ateliers pour femmes était 2 fois plus élevés que pour les hommes. Henner gagnait très bien sa vie, étant un portraitiste reconnu. Cependant il voulait entretenir correctement tous les membres de sa famille en achetant des terres en Alsace et en se faisant construire une maison familiale. En tant que fils de paysan alsacien, il a toujours voulu assurer ses arrières. Il était aussi motivé par la transmission de son art. Certaines élèves se sont formées en étant modèles pour lui: Joanna Romani, émigrée italienne et Hortense Bucher, fille de jardinier, venaient de milieux très modestes et sont devenues professionnelles au contact de peintres et de sculpteurs en les interrogeant sur leur technique durant les séances de pose. L’atelier de Henner et Carolus restait le plus cher, soit 100 francs le mois pour des demi-journées.
On y apprenait le travail du modelé ainsi que le rendu des matières et de la carnation. La marque de fabrique du peintre Jean-Jacques Henner, en plus des portraits, était la peinture de femmes alanguies, nues et rousses dans des paysages mélancoliques d’inspiration alsacienne ».
L’atelier des dames fermera ses portes vers 1889 mais Henner poursuivra la formation de certaines élèves dans son atelier de la place Pigalle jusqu’à son décès en 1905. Le peintre avait pour habitude d’envoyer ses élèves faire des copies au musée du Louvre et les corrigeaient ensuite. Il encouragea également ses élèves à concourir au Salon des artistes français.
Portrait de Madeleine Smith de profil en Alsacienne (1903-1904) par J.J Henner
Quelques élèves du peintre
Certaines élèves ont développé des liens d’amitié avec Henner au cours de leurs années d’apprentissage. Les familles de Madeleine Smith et de Jean-Jacques Henner étaient amies. Madeleine eut même un projet de fiançailles avec le peintre mais celui-ci n’aboutit pas. Elle laissa un grand nombre de précieuses archives (une soixantaine de boîtes qui furent léguées à l’État) conservées aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France. Madeleine Smith sera couronnée de lauriers et photographiée par sa sœur avec sa médaille en 1895 au salon des artistes. Dorothy Dolly Tennant, peintre britannique, laissa derrière elle son journal où elle mentionne son passage à l’atelier des dames ainsi que dans son atelier de la rue Pigalle. La peintre italienne Juana Romani, émigrée italienne et issue d’un milieu modeste, fit ses premières armes en tant que modèle. Sa carrière s’épanouit sur plus de 20 ans. L’artiste développa un travail autour des têtes de fantaisie très en vogue à l’époque, influencée par le peintre Ferdinand Roybet pour qui elle posa et dont l’œuvre avait un style espagnol prononcé. Joanna Romani eut une carrière incroyable en s’imposant sur la scène artistique de Paris et fut largement admirée. Elle avait même sa vignette dans la collection du magasin Félix Potin. En 1903 elle arrêta sa carrière, ayant des problèmes psychologiques et fut internée en tombant dans l’oubli jusqu’à sa mort. Beaucoup d’élèves vont imiter leur maître dans leurs portraits,d’autres vont avoir leur propre style. Certaines abandonneront leur carrière après s’être mariées mais d’autres obtiendront des médailles au Salon comme l’artiste Madeleine Smith couronnée de laurier et photographiée par sa sœur avec sa médaille en 1895. Germaine Dawis (1857-1927) restera la « disciple fidèle » de Henner tout en faisant une carrière honorable. L’œuvre de cette femme peintre demeure encore aujourd’hui présente dans les maisons de vente.Henner et Carolus Duran visitaient leurs élèves dans leurs ateliers et celles-ci leur envoyaient leurs compositions destinées à être présentées au Salon.
Portrait de femme en costume vénitien de Juana Romani-1903
Filiation artistique entre élèves et maîtres
L’exposition présentée, développe quelques thèmes chers à Henner: le thème religieux avec des piétas et la figure de Marie-Madeleine. L’artiste Marie Petiet s’inspira de La Magdeleine peinte par Henner et sa toile fut présentée au Salon de 1881. Un autre thème présenté dans cette exposition consiste en des portraits ainsi que des têtes de fantaisie de face et de profil, constituant principalement des études de la lumière. Le thème des nymphes, véritable marque de fabrique de Henner, a inspiré Germaine Dawis et Dorothy Tennant.
La Religieuse-Portrait de Germaine Dawis -JJHenner -1903
Marie-Madeleine-huile sur toile de Marie Petiet (1881)
Exposition Elles, les élèves de Jean-Jacques Henner – nymphes © Musée Henner / Jean-Yves Lacote
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Exposition Elles, les élèves de Jean-Jacques Henner
Jusqu’au 28 avril 2025
Musée national Jean-Jacques Henner
43 Avenue de Villiers-75017 Paris
www.musee.-henner.fr
Ouvert tous les jours (sauf le mardi) de 11 h à 18 h
Lecture theâtralisée le samedi 8 février à 19h par les élèves du conservatoire Camille Saint Saëns.
Cet article est non rémunéré.
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