L’exposition Architextures et Perpectives au Palais idéal du facteur Cheval participe à faire de ce lieu éponyme d’art singulier un espace contemporain sous la houlette de son récent directeur Frédéric Legros. C’est avec la complicité de la commissaire de l’exposition Julia Fabry et en collaboration avec Ciné TAMARIS, que ce deuxième volet consacré à Agnès Varda, photographe et cinéaste du mouvement Rive gauche, installe ses quartiers dans l’enceinte du Palais idéal jusqu’au 3 Avril prochain.
En 1956 Agnès Varda se rend pour la première fois à Hauterives, fief du facteur Cheval. La cinéaste a accordé une place privilégiée dans ses films aux facteurs-postiers. On peut citer notamment le facteur Jacky Patin faisant ses tournées dans le village perché de Bonnieux en Luberon. Il interprètera son propre rôle dans le court-métrage de la cinéaste intitulé les 3 boutons.
Le premier volet de la trilogie autour d’Agnès Varda au Palais idéal s’intitulait Correspondances et présentait un ensemble de documents avec un goût certain de la réalisatrice pour les relations épistolaires et les cartes postales. On a pu y découvrir des lettres échangées avec d’autres artistes tels que Calder ou encore Chris Marker.
Destins croisés
Les rêves de pierres du facteur
Ferdinand Cheval, durant sa vie de facteur « déambulait chaque jour de Hauterives à Tersanne , courant tantôt dans la neige et la glace , tantôt dans la campagne fleurie.. ».
En parcourant au quotidien pas moins de 42 kilomètres, Cheval avait tout loisir de s’évader dans ses pensées durant ses déplacements en solitaire. Il «construisait en rêve un palais féerique dépassant l’imagination… ». Le pied de Ferdinand Cheval trébucha durant le printemps 1879 sur une « espèce de pierre à la forme si bizarre et à la fois si pittoresque.. » .
C’est ce banal incident qui déclencha le passage à l’acte chez cet homme visionnaire et autodidacte qui se plongeait régulièrement dans la lecture de revues populaires telles que le Magasin pittoresque et la Veillée des chaumières.
Le facteur produira une multitude d’esquisses au crayon, rendant hommage à l’architecture mondiale mais aussi à la pensée et aux proverbes de grands hommes. Il « mettra en scène » à l’aide d’un trumeau, de chaux et de fils de fer, les monuments de civilisations anciennes faisant écho à l’histoire de l’humanité. Chaque cargaison de pierres ramenées dans ses poches après sa tournée journalière sera actrice au sein de son oeuvre: son Palais idéal. La plus grande complice du visionnaire fut sans aucun doute sa » brouette bien-aimée » ,exposée dans sa niche- mausolée au sein du Palais idéal. A l’âge de la retraite, Ferdinand Cheval eut le loisir de s’en servir durant chaque jour, inexorablement: » Pour faire jaillir de terre ce palais de fées, Pour mon idée, mon corps a tout bravé… « .
Il y quelque chose de théâtral et d’extravagant dans l’oeuvre du Palais idéal. Son concepteur autodidacte usera de ses connaissances annexes surtout à la fin de la construction du palais: ancien boulanger, il pétrira la matière et modèlera le mortier de chaux comme il l’aurait fait pour du pain. Pas moins de 3500 sacs de chaux et de ciment auront été utilises pour 1000 mètres cubes de maçonnerie. Afin de matérialiser une cascade, des seaux d’eau seront jetés par une trappe depuis la terrasse du Palais à l’occasion de visites officielles ( cela rappelle d’ailleurs une très jolie séquence du film Mon Oncle de Jacques Tati ! ).
Le Palais idéal sera nommé successivement le Temple de la nature puis les Grottes . On doit l’origine du nom de Palais idéal à un poème du grenoblois Emile Roux-Parassac. Le facteur Cheval ouvrira lui -même les portes au public lors de l’inauguration en Janvier 1905 par la petite porte en bois située près de la billetterie. Il mettra en place un livre d’or pour les nombreux visiteurs venus du monde entier et ce document livrera de précieux renseignements sur leur identité.
Le public en pénétrant dans l’enceinte du jardin, pouvait lire la phrase inscrite sur une des façades du Palais « Travail d’un seul homme ,1879-1912,10 000 journées, 93 000 heures , 33 ans d’épreuve… ». Plus de 60 maximes, issues de la Bible, d’écrivains mais aussi de visiteurs ( précurseurs des » tags ») ont été gravées sur les murs du Palais idéal. Le facteur aménagera également un toit-terrasse puis un belvédère au-dessus de la villa Alicius (du nom de sa fille Alice), édifiée au nord-est du monument pour offrir une vue plongeante aux visiteurs sur son palais. C’est à l’aide de son maçon qu’il construira cette villa attenante au Palais pour y passer sa retraite avec sa femme.
Les mini cabanes cinématographiques d’Agnès Varda
Là ou la pierre mollasse et le tuf, sur le bord des chemins, ont servi le rêve fou de Ferdinand Cheval, les chutes de pellicules inutilisées d’Agnès Varda ont participé à la construction de différentes maquettes « cabanes » de quatre de ses films. La cinéaste soulignera à ce propos: « Je bâtis des cabanes avec les copies abandonnées de mes films . Abandonnées parce qu’inutilisables en projection. Devenues des cabanes, maisons favorites du monde imaginaire »
Dans la conception de ces mini cabanes il y a une intention de recyclage chez Agnès Varda, consciente de l’arrivée du numérique et du caractère obsolète que va prendre la pellicule cinéma.
On découvrira dans l’espace d’exposition du Palais idéal la maquette de la serre de son film Le bonheur (1964) faite de briques patinées et de pellicules super 8 ou encore celle de son film éponyme Sans toit ni loi (1985) matérialisant une tente en structure métallique recouverte de pellicule super 8. Un ensemble de photographies témoigne de l’amour pour l’architecture qu’avait la photographe et réalisatrice. Agnès Varda, véritable globe trotter a immortalisé les jardin Renaissance de Bomarzo en Italie et son parc des monstres, l’église de Fossé dans les Ardennes ou encore la terrasse de la Cité radieuse de Le Corbusier à Marseille. Varda a une fascination pour les lieux incongrus qui ont traversé l’histoire .
Quatre de ses photographies datant de 1950 en noir et blanc représentent les Watts Towers ( 8 tours de 30 mètres de haut) réalisées par Simon Rodia, maçon à Los Angeles, composées de câbles d’acier et de ciment dans lequel sont incrustés divers objets provenant des décharges publiques. Cette oeuvre, classée également comme monument historique, donne en quelque sorte la réplique à celle du facteur Cheval, notamment pour les 33 années nécessaires à sa construction . Il y a une similarité étonnante dans les oeuvres singulières de Rodia et Cheval. De nombreuses photos sont présentées pour la toute première fois dans cette exposition. Les archives qui ont nécessité un gros travail de restauration, sont issues du fond Rosalie Varda( la fille d’Agnès) comprenant plus de 20 000 négatifs.
Durant le parcours de l’exposition Architextures et perspectives , un court-métrage documentaire de 13 minutes évoquant les femmes statues -cariatides présentes dans l’architecture parisienne, fait référence au célèbre poème de Baudelaire.
Le destin de ces deux créateurs s’est définitivement croisé comme en témoigne cette réflexion d’Agnès Varda: « ….Créer ce n’est pas seulement rêvasser. On part d’une petite rêverie et ça devient une oeuvre. Au fond c’est la définition de l’art contemporain ». Tous deux ont « glané » les objets pour les collectionner et en faire une oeuvre. La curiosité humaine a su générer des passions et de grandes oeuvres d’autodidactes guidés par leur puissante imagination et également leurs convictions personnelles ( on ne manquera pas de découvrir l’incroyable oeuvre du bâtisseur et mosaïste Raymond Isidore et sa maison Picassiette ).
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Palais idéal du facteur Cheval
Exposition Architextures et perspectives
Du 16 Octobre 2021 au 3 Avril 2022
8 rue du Palais
26390 Hauterives- Drôme
Tel. +33 (0)4 75 68 81 19
www.facteurcheval.com
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cimetière de Hauterives
57-59 L’Ancienne Église, 26390 Hauterives
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