Il y a une quinzaine de jours les chapiteaux de cirque à Auch s’allumaient de mille feux avec 9 jours de programmation circassienne à l’occasion du 37è festival du cirque actuel. Comme les éditions précédentes, tout était magistralement organisé avec une équipe de bénévoles toujours aussi performante. Durant cette édition le cirque contemporain lituanien a été mis à l’honneur dans le cadre de la Saison de la Lituanie en France en 2024. Trois grandes thématiques ont été prescrites à l’occasion de cette collaboration culturelle entre France et Lituanie à savoir la diversité et les identités, le voisinage global et l’imagination débridée. Les spectacles du cirque lituanien se sont décliné sous la forme de plusieurs créations très contemporains How a spiral works, inTENSE et The Nappies Project . Ce dernier spectacle, sous la forme d’un happening où le public a largement été mis à contribution nous a laissés perplexes et sur notre faim… À l’occasion de ce festival, les femmes de cirque ont été particulièrement mises à l’honneur utilisant leur propre vécu comme matériau narratif et ce fut une grande réussite !
Des Nuits pour voir le jour – spectacle de la Compagnie Allégorie
Katell Le Brenn nous a livré son » auto-corps-trait » d’équilibriste et de contorsionniste accompagné des épreuves du corps, d’accidents et de renoncement. La mise en scène, déclinée sur 2 plateaux avec un principe de gradins pivotants, nous a évoqué la scénographie des pièces d’Ariane Mniouchkine au Théâtre du Soleil.
Katell Le Brenn
« J’ai longtemps été interprète, souvent pour d’autres compagnies et j’ai créé la Compagnie Allégorie en 2006 pour un premier spectacle qui s’appelait Léonce à propos des questionnements de l’adolescence. Entre 2006 et 2018 j’ai eu besoin d’un espace à moi et d’être plus disponible en tant qu’interprète. J’ai fait un duo avec mon père, Erwan Le Brenn, dans une création nommée » Dispersion » qui traitait du deuil de l’être aimé à travers un duo de cirque et de musique live. Ma compagnie a ensuite fusionné avec celle de mon compagnon David Coll Povedano « .
Dans Des nuits pour voir le jour Katell évoque non seulement son parcours de blessures mais aussi celui d’autres artistes circassiens. Le spectacle a été écrit et mis en scène par son conjoint David Coll Podevano.
» J’ai voulu montrer que chaque blessure pouvait être un enrichissement face aux obstacles. En fait tout ce que l’on subit nous ouvre d’autres chemins très riches en dépassant le pourquoi de ces blessures. Quand on accepte, on arrive à dépasser ce questionnement. J’évoque ma 5è blessure à travers une séquence de message téléphonique laissé par une copine qui en rigole sur mon répondeur. Le regard des autres varie, les intimes eux ne rient pas. Quand on est proche et de plus, aidant, on se sent impuissant. Il y a eu poignet, coude, épaule dans la liste de mes blessures. J’ai énormément marché durant ces périodes, j’avais besoin de sentir que mon corps était vivant. La marche est très méditative et inspirante pour les pensées. On guérit de ses blessures mais quand on vieillit il y a la douleur qui s’installe. Ce spectacle est très physique et éprouvant. J’aimerais encore être sur scène à 60 ans et être encore capable de faire des ponts ! J’aime beaucoup faire des recherches à travers le corps. Envers nos pères sera notre prochain spectacle qui est un duo d’hommes, l’un qui porte et l’autre qui jongle, s’interrogeant sur leur statut de père ».
La Compagnie L’Oublié(e) avec La Bête Noire (2017) et Petite Reine, un solo créé en 2024.
La Bête Noire
La Bête Noire est un peu dans la même veine que le spectacle de Katell Le Brenn mais avec une mise en scène très épurée sur un corps sculpté par les hautes et basses lumières contrastées des éclairages. Raphaëlle Boitel a mis en scène et chorégraphié ce solo dans lequel elle a souhaité évoquer les souffrances que nous nous infligeons, celles que l’on nous inflige, les pressions que nous subissons, les sacrifices que l’on accepte. Issue de la spécialité de contorsionniste, Raphaëlle, dans une écriture très visuelle explore les exigences attendues du corps en perpétuelle lutte et en tension. Le corps est ici décliné comme une marionnette accrochée et manipulée au bout de fils invisibles. Raphaëlle Boitel avant de monter sa compagnie a travaillé durant 12 ans avec James Thierrée.
Petite Reine
Petite Reine, un second solo à vélo acrobatique, fait le portrait d’Édith incarné par Fleuriane Corner, diplômée du CNAC en 2020 exprimant toutes ses attentes et ses désillusions.
Traverser les murs opaques de Marion Collé
Marion Collé, poétesse et fildefériste, nous offre ici une production de son Collectif Porte 27 sous la forme d’acrobaties verbales extraites de son second recueil de poésie Traverser les murs opaques paru aux éditions Bruno Doucet. L’artiste d’origine alsacienne a été formée à l’Académie Fratellini puis au CNAC après des études littéraires en hypokhâgne puis khâgne et un mémoire en DEA sur la poésie d’Eugène Guillevic. Le spectacle Traverser les murs opaques, d’une durée de 55 minutes, décrit le soulèvement contre le poids des normes et des contraintes à travers l’art du fil, du trapèze et de la narration poétique. Sur scène, 5 artistes femmes résistent à la traversée des temps sombres à travers leur solidarité et des allers-retours entre spectacle et écriture poétique. Très inspirée par les travaux sur la poétique des images du philosophe et historien de l’art, Georges Didi-Huberman, il aura fallu 2 ans à Marion et à son collectif pour créer ce spectacle qui est un combat livré entre esthétique du plateau artistique versus la scène politique. Les 5 interprètes Anne-Lise Allard, Julia Brisset, Marion Collé, Amélie Kourim et Chloé Moura sont impressionnantes par la précision de leurs gestes et déplacements. La voix off de Fanny Sintès se fait narratrice des poèmes. Traverser les murs opaques a été le véritable coup de cœur de notre rédaction.
Intérieur Nuit– Création de Jean-Baptiste André – Association W
C’est à sa sortie de l’École supérieure des Arts du Cirque de Chalons-en-Champagne (CNAC) en 2004 qu’est née la toute première création de Jean-Baptiste André. Vingt ans plus tard cette œuvre novatrice refait surface, intemporelle et contemporaine durant cette 37è édition de Circa. L’usage de projection vidéo, met le personnage unique de cette création en état d’apesanteur dans cet espace confiné. L’homme arpente les murs et le sol entre ombre et lumière, se métamorphosant dans une atmosphère kafkaïenne. L’enfermement, l’isolement viennent perturber cet équilibre fragile jusqu’à une sensation de dépression. Les vêtements accrochés aux murs ne parviendront pas à le faire passer de l’autre côté du mur et ils seront étalés minutieusement au sol à la façon d’un interlocuteur imaginaire à qui l’on chuchote une conversation, une hallucination où fusionnent horizontales et verticales. La conception, la mise en scène et l’interprétation sont assurées par Jean-Baptiste André sur une création musicale de Christophe Sechet.
Il était 11 fois– Un très joli spectacle de l’école Ésacto’Lido
L’école supérieure des arts du cirque de Toulouse Occitanie a présenté les travaux de ses élèves de la promotion 2011-2024. Des créations courtes sous la forme de bouts d’histoires intègrent à la fois jonglage, roue Cyr, trapèze, équilibre et corde lisse. Ici l’atmosphère oscille entre joie, poésie, questionnements sur des faits de société mêlant danse, théâtre et mime. Onze jeunes talents auront signé deux représentations différentes en nous apportant une bouffée de fraîcheur et de poésie. Bonne route à ces onze talents qui désormais vont voler de leurs propres ailes!
Avec : Florian Berthelot (jonglage balles), Medhi Boulanger (trapèze Washington), Chien-Hung Shu (jonglage boîtes), Alexis Debris (équilibre), Barbara Ford (trapèze), Simona Huber (roue Cyr), Vladimir Leroy (mât chinois), Marie Marrou (corde lisse), Meara Roach (trapèze), Fernando Rosell Romo (jonglage balles), Alessandro Travelli (équilibre).
Soirée Magique – Compagnie 14:20
Ce spectacle est centré sur la magie nouvelle, un mouvement artistique mettant en avant le détournement du réel qui nous a tous bluffés! Ici l’illusion rivalise avec l’adresse, faisant appel à la lévitation et à la technologie d’invisibilité. Une magnifique séquence d’ombres chinoises avec un jeu de mains a transcendé toute la poésie entre battements d’ailes et transformation de visage avec une habileté déconcertante. Oui la soirée a vraiment été magique!
Avec Rémi Lasvènes, Philippe Beau, Ingrid Estarque, Madeleine Cazenave, Arthur Chevaudret, Matthieu Siefridt, Blizzard Concept et la Compagnie Alogique.
À propos de Circa
Cette équipe de 17 personnes continue à s’investir toute l’année en dehors de la période du festival. En Novembre la Compagnie KD Danse présentera Feuilles , un voyage sensoriel unique le mercredi 27 à 16 heures au Dôme, La Palestinian Circus School sera au rendez-vous le mardi 3 décembre à 20 h au Dôme avec Sarab ( « mirage » en arabe) en partenariat avec Amnesty International. Circa est présent pour les établissements scolaires ou socio-éducatifs, les associations , les CE et autres groupes. Des propositions de rencontres avec les artistes en résidence, ateliers, parcours pédagogiques et visites sont régulièrement programmés. À l’année prochaine pour la 38è édition du Festival Circa, Pôle national de cirque à Auch en Occitanie.
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Festival Circa -Auch
www.circa.auch.fr
À lire
Traverser les murs opaques de Marion Collé
Recueil de poésie
Éditions Bruno Doucet
Photo de bandeau: Bleu Tenace-Cie Rhizome-Photo©Laure Geoffroy
Remerciements à toute l’équipe de Circa, aux artistes et aux bénévoles.
Cet article est non rémunéré.
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