
Les merveilles d’Edirne
Istanbul est certes une ville incontournable, mais pourquoi ne pas se rendre à 240 km au nord-ouest de la capitale, tout près des frontières grecque et bulgare, pour y découvrir les merveilles d’Edirne ?
Anciennement nommée Andrinople et fondée par l’empereur romain Hadrien, la ville était située dans la partie européenne de la région de Marmara. Elle devint la capitale de l’Empire Ottoman durant 90 ans quand le Sultan Murad 1er la conquit en 1361 après avoir franchi le détroit des Dardanelles.
Constantinople, fut prise à son tour en 1453 et Edirne devint alors un important centre pour les sciences et les arts.
Juste à côté de cette ville au charme d’antan, les fleuves Tunca et Maritsa (Meriç en turc) s’unissent pour se jeter ensuite dans la mer Egée.
Grâce à la navigation fluviale, le fameux rouge d’Andrinople, appelé également rouge du Levant, a longtemps alimenté le commerce du coton en Europe. Cette technique de teinture à base de racines de plantes remonterait à l’époque des conquêtes d’Alexandre le Grand.

Karaağaç, sur les rails de l’Orient-Express
Les nostalgiques des grands voyages en train et amateurs de littérature ne manqueront pas de se rendre à Karaagaç, proche banlieue d’Edirne où s’arrêtait l’éponyme Simplon-Orient Express. La station ferroviaire fut conçue et édifiée par l’architecte Kemalettin Beyentre entre 1913 et1914.

Au XIXème siècle, Karaağaç était une petite ville très cosmopolite et le lieu central de divertissement des Balkans. La ville, surnommée «Le Petit Paris» était investie par des écrivains, des poètes, des politiciens, Agatha Christie, Mata Hari,Zsa Zsa Gagor. Pierre Loti, que l’on surnomma « le turcophile» s’y plaisaient beaucoup.

Karaağaç, zone frontalière
Un certain nombre de passagers descendaient à la gare de Karaağaç située à 3 kilomètres de la frontière grecque et 5 km du centre ville d’Edirne. Ils séjournaient dans de grandes maisons de bois (konaks) ou dans les consulats étrangers. Parfois ils décidaient de prendre une calèche et de traverser le pont historique de Meriç Köprüsü pour loger dans les hôtels du centre d’Edirne. Cela dura jusqu’à la fondation de la République Turque en Octobre 1923. Hemingway écrivit By line, un ouvrage contenant 80 articles sur l’expatriation et la seconde guerre mondiale. Il y évoque, entre autres, sa venue à Karaağaç avec le Simplon-Orient-Express en 1922. Avant le Traité de Lausanne de Juillet 1923, le fleuve Maritsa constituait la frontière entre la Grèce et la Turquie et l’on délivrait des laissez-passer valables une journée pour se rendre d’un côté ou de l’autre de la frontière. Le bâtiment historique de la station de police qui délivrait ces laissez-passer a d’ailleurs été restauré. À travers la buée sur les vitres du train, Ernest Hemingway se référait aux toiles de Goya en observant la foule se pressant pour traverser la frontière.
À partir de 1890, Karaağaç accueillit près de 1000 levantins. Cela expliqua l’ouverture en masse de consulats français, bulgares, anglais et d’écoles pour faciliter la vie de ces européens.
De nombreux hôtels virent le jour tels que l’Andrinople, l’Athènes ou encore l’Européen entourés de nombreux cafés traditionnels dont certains existent encore.


Une gare au charme d’antan
La station de train fut édifiée de 1913 à 1914 par l’architecte Kemalletin Bey, prenant exemple sur la station Sirkeci d’Istanbul. Aujourd’hui cette ancienne gare a été investie par la faculté des Beaux-Arts de l’université de Trakya où sont organisées des expositions. Le lieu vaut le détour car il a conservé une immense salle d’attente ornée de fresques avec des objets d’époque, dont un magnifique lustre en verre de Murano qui trône au plafond. Ici le temps semble s’être figé et tout comme à l’époque des voyageurs en transit, on peut y boire du serbet, boisson rafraîchissante à base de plantes locales et de menthe sans oublier les loukoums à la rose pour l’accompagner! À l’extérieur une ancienne locomotive à vapeur nous replonge avec nostalgie dans le romantisme suranné de ces voyages luxueux.


En refermant cette parenthèse magique, on appréciera une balade le long du pont Meriç Köprüsü situé sur la route qui relie Edirne à Karaağaç pour y voir les lueurs rougeoyantes du crépuscule. Le pont est composé de douze arches et piliers et remplaça en 1847 un ancien pont de bois.

Le Festival de lutte de Kirkpinar
La province d’Edirne a conservé de nombreuses autres traditions ancestrales telle que celle de la lutte à l’huile illustrée par le festival annuel de Kirkpinar existant depuis 1362. Cet événement est tenu sur les pelouses d’un ancien palais ottoman tout proche de la ville.
En juillet dernier s’est déroulée la 658 ème édition de ce festival avec plus de 2380 lutteurs inscrits dont les plus jeunes n’avaient pas plus de 10 ans d’âge. Durant cette manifestation programmée entre le 5 et 8 Juillet, plus de 3 tonnes d’huile ont été utilisés par les lutteurs. En effet, le fait d’avoir le corps recouvert d’huile rend ce sport plus difficile pour les différentes prises et les lutteurs ont plus de mal à saisir leur adversaire.



Les origines de la lutte à l’huile
Traditionnellement, les soldats turcs ont toujours fait appel pour leurs entraînements à ce sport supposé les rendre plus courageux ! Ce festival permet également de rendre pérennes des rituels ancestraux pratiqués durant son déroulement. Le cazgir annonce l’ouverture du concours et présente les lutteurs au public. Il enchaîne avec la lecture de poèmes traditionnels pour inviter les lutteurs à venir se présenter aux spectateurs et continue ensuite avec des prières, le tout accompagné de musique traditionnelle.
Les sultans ottomans ont toujours encouragé et soutenu les concours de lutte durant leur règne. Le festival de lutte de Kirkpinar est inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.
Aufildeslieux a rencontré Bayezid Sanse qui a composé l’hymne officiel de Kirkpinar :” En Turquie Kirkpinar appartient à Edirne…ce que l’on y vit est une légende“.
Ce fringant senior, très enjoué et enthousiaste, nous a livré son parcours. À l’âge de douze ans, il vivait dans le même quartier que les musiciens du festival, ce qui lui a permis d’être invité à se rendre à cet événement incontournable. Cela a constitué un profond bouleversement dans sa vie. Chaque édition du festival a nourri son imaginaire, lui donnant ainsi l’idée de composer cet hymne en 1995: « Les lutteurs sont accompagnés par 20 zournas ( flûtes traditionnelles) et 20 dohols (tambours) tout au long de leurs combats ... Nous ne devons pas oublier que c’est le deuxième sport le plus ancien après le marathon grec ! ».

La lutte à l’huile est un élément important pour l’ascension social de ces lutteurs venus en masse de toute la Turquie. La distinction suprême consiste à recevoir la ceinture d’or. Celle-ci pèse 1400 grammes et a été réalisée avec de l’or à 22 carats. Le lutteur qui aura gagné le concours de Kirkpinar durant trois années consécutives aura le droit de porter cet emblème à vie.

Les mets de la cuisine traditionnelle ottomane
Durant la préparation du festival de Kirpinar s’est déroulé un concours gastronomique autour de la cuisine impériale du Palais Ottoman au 15 ème et 16 ème siècles. Le Jury a passé en revue bon nombre de plats dont les traditionnels Böreks, petits rouleaux de pâte farcis au fromage et à la viande et le safran irmik helvasi , délicieux dessert au safran et à la semoule. Au loin on pouvait entendre passer les musiciens du festival annonçant dans les rues la 658 ème édition du festival de lutte…


Le chef d’oeuvre de Sinan l’Architecte
Une série de joyaux architecturaux méritent une visite le temps d’un week-end automnal. La mosquée Selimiye Camii a été édifiée par l’architecte Mimar Sinan, alors âgé de plus de 80 ans. Cet homme, hors du commun, était originaire de Kayseri. Sinan fut pris en charge par l’état à l’adolescence et inscrit dans une des nombreuses écoles du Palais. Il y étudia l’architecture et rentra au service du Palais comme architecte officiel du sultan à l’âge de 55 ans. Durant sa carrière il conçut et construisit 81mosquées,51 ponts,35 bains,18 caravansérails sans compter les nombreux aqueducs et cuisines communautaires pour les pauvres.


Il considérait la mosquée Selimiye Camii comme étant son œuvre majeure et un symbole fort pour la ville d’Edirne. La mosquée est entourée des quatre plus hauts minarets du monde islamique, visibles de très loin quand on entre dans la ville. Son dôme situé à 43 mètres du sol, fait deux mètres de plus (31,28 mètres ),en termes de diamètre, que Sainte-Sophie à Istanbul. Construite entre 1568 et1574, la mosquée de Selimiye Camii a été classé au Patrimoine mondial en 2011. Il aura fallu 400 maîtres-artisans et pas moins de 14 000 ouvriers pour sa construction. Des matériaux de grande qualité furent utilisés pour les intérieurs tels que du marbre de Marmara, du granit égyptien et de la céramique d’Iznik.

Les jardins et le musée de la santé du complexe de BejazetII
Sous le règne du Sultan Bayezid II, entre 1484 et 1488, un nouveau quartier nommé Yeni Imaret fut établi le long du fleuve Tunca. Situé un peu à l’extérieur d’Edirne un complexe (Kulliye en turc) comprenant une mosquée, une cuisine communautaire, un hôpital et une école médicale et des bains fut érigé par l’architecte du sultan, Mimar Hayrettin. Cette initiative correspondait à un véritable engagement social. L’hôpital (Darüssifa) prenait en charge tout particulièrement les désordres neurologiques et psychologiques faisant appel à la musique et à l’aromathérapie. Le lieu est devenu aujourd’hui un Musée de la Santé rattaché à l’université de Trakya.


Aufildeslieux a particulièrement apprécié la balade dans les jardins de ce complexe. Ici vous serez accueillis par des paons aux somptueuses couleurs et de curieuses poules soie-blanche évoluant librement dans les allées. À l’intérieur de l’espace muséal, le son d’une fontaine se mêle à la musique soufi ambiante. Nus partons à la découverte d’une succession de pièces où sont mis en scène des personnages en costumes d’époque. Ici différents soins étaient prodigués aux patients.Cet espace muséal a reçu le prix du Conseil Européen dédié au Musée de l’Année en 2004.


La communauté Bulgare d’Edirne
Avant la guerre des Balkans (1912-1913), la communauté bulgare d’Edirne comptait 12 000 personnes, aujourd’hui elle ne totalise plus que 5 familles. L’église bulgare orthodoxe Saint-Georges, construite en 1880 dans le quartier de Kiyik, restitue l’ambiance d’antan, présentant une très belle collection d’icônes. Il est conseillé de prendre rendez-vous car le lieu n’est pas toujours ouvert.

L’art du bois peint
Aufildeslieux est parti à la rencontre de l’atelier d’Halil Teksoz qui détient une entreprise familiale à Edirne. Cet artiste réalise un magnifique travail de peinture sur bois de pin, bouleau et bois de rose à base de différents pigments rapportés des quatre coins du monde. Son travail s’inspire des mosaïques et céramiques des mosquées de Turquie et plus particulièrement de celles d’Edirne.


*****
Guide pratique
Vols Paris-Istanbul sur Turkish Airlines, Aller/Retour à partir de 402 euros
L’Itinéraire Istanbul/ Edirne est conseillé en taxi
Compter entre 130 et 170 euros pour parcourir les 245 km en 3 heures.
http://www.onlinetaksi.com
Où loger
Margi Hotel *****
Talat pasa Caddesi 60,Edirne.
info@margiotel.
Tel +90 284 236 62 36
Où se restaurer
Restaurant Lalezar
Karaağaç Mahallesi Lozan Caddesi No:6 Merkez
22030 Edirne
Tel +90 284 223 06 00
Bureau d’informations touristiques d’Edirne
Talat Paşa Caddesi
Hürriyet Meydanı (Place du centre-ville)
Edirne
Turquie
Mosquée Beyazit II
Yeni Maharet Cad., Edirne Merkez
Edirne
Turquie
Mosquée Selimiye Camii
Mimar Sinan Caddesi
Edirne
Turquie
Eglise orthodoxe bulgare St Georges
Noi 22, Kiyik-Edirne
Fermée les lundi et mardi.
Peinture sur bois
Halil Teksoz
www.halilteksoz.com
Remerciements
- Ambassade de Turquie
Service de la Culture et de l’Information
102, av. Champs Elysées
75008 Paris –Tel 01 45 62 27 50
- Les organisateurs du Festival de Kirkpinar à Edirne
- Turkish Airlines
- Corinne Both/Parker Company Consulting
- Mon guide Ozer Sahin et Kemal Kiliç pour son accueil dans ses restaurants à Edirne.





[:fr]Les Montgolfiades de Rocamadour [:]
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