Le poète provençal Frédéric Mistral a dit «entre mer, Rhône et Durance, il fait bon vivre, Dieu le sait?». Ses paroles m’ont accompagnée durant deux jours passés entre Monts de Vaucluse et Luberon au crépuscule de cet hiver.
Ici la montagne fait écho à la plaine et à la Durance qui mit si longtemps à s’assagir dans son lit en freinant ses débordements. Son limon fertile a favorisé l’agriculture, et l’intronisation de l’éponyme melon de Cavaillon. Ce n’est pas par hasard que l’on a surnommé cette zone «jardin de primeurs».
Alexandre Dumas se plaisait à venir en villégiature dans le Luberon l’été pour y rejoindre ses amis poètes. Grand amateur du Cantalupo, du nom du village italien situé près de Rome et dont les graines furent importées en France par les Papes du XIVème siècle, l’écrivain reçut une rente à vie payée… en melons , en échange de l’intégralité de ses oeuvres offertes à la bibliothèque de Cavaillon en 1864 !
La création de la ligne ferroviaire Paris-Lyon-Méditerranée, permit l’exportation de ce fruit que l’on offrait en cadeau aux ecclésiastiques et dont profita rapidement la bonne société parisienne du XIXème siècle.
© Archives municipales de Cavaillon
La Tradition des confiseurs…..
C’est dans le village des Baumettes que se sont installés Sylvie et Denis Rastouil, confiseurs sur plusieurs générations depuis 1873. Ici, le fruit vedette reste le melon.
Les fruits confits font partie des 13 desserts provençaux de Noël comportant les «quatre mendiants» que sont les noix, noisettes, figues et amandes, la fougasse, les calissons et les navettes, sans oublier melons, raisins, poires et pommes.
Ici à la confiserie St Denis, on part tout l’été à la chasse aux fruits de qualité supérieure, issus de l’agriculture raisonnée: le rosé de Provence (non ce n’est pas du vin dont il est question !) joli abricot très pâle en provenance d’Apt, les figues sont originaires du Var et souvent Denis va faire sa tournée jusqu’en Calabre pour ramener oranges et clémentines. Le travail se fait entièrement à la main: on utilise un tournevis pour dénoyauter les fruits sans les abîmer, les melons sont égrainés de la même façon. C’est la variété Presco, devenue très rare qui est utilisée. Les Rastouil rendent les graines de melon à l’agriculteur qui leur livrera l’année suivante sa nouvelle récolte. Peut-être aurez-vous un jour l’occasion d’assister au ramassage des melons qui demande une sacrée dose d’adresse quand on les lance pour atterrir dans les casiers de récupération!
L’épreuve des 15 chaudrons….
Les fruits doivent passer par 15 chaudrons successifs pour la cuisson après avoir été épluchés et dénoyautés. La clémentine sera portée à ébullition pendant deux bonnes heures pour casser les fibres de son écorce; quant à l’abricot et la fraise, ils connaîtront un traitement plus doux qui n’excèdera pas les deux minutes ! Chaque catégorie de fruits est cuite séparément.
© Archives Musée de L’industrie – APT
L’étape suivante consistera à les mettre à tremper après cette première cuisson dans un autre chaudron, couverts d’un sirop composé de sucre, de glucose et d’eau et portés à ébullition entre deux et quatre minutes. On videra la bassine en y laissant le fruit reposer jusqu’au lendemain pour qu’il rejette l’excédent d’eau et absorbe le sucre. Le surlendemain on réutilisera le même mode opératoire. Ce processus est répété 15 fois et dure un mois entier.
Sylvie m’explique que ces opérations sont tributaires de la météo : «S’il y a du mistral, on gagne une à deux cuissons car le fruit rejette plus facilement l’eau dont il regorge!» et à l’inverse la pluie et l’humidité rajouteront une à deux cuissons supplémentaires.
Un séjour dans le noir…
Une fois cuits, les fruits baigneront dans leur sirop en restant entre 6 à huit mois dans le noir total.
L’air devra être sec et on utilisera un déshumidificateur si nécessaire. A l’issue de cette période, le fruit sera égoutté puis vendu non glacé ou bien placé sur une grille où l’on étalera un glaçage sur sa surface. Cette étape, qui doit être réalisée très rapidement, dure à peu près deux heures par grille.
Un travail d’orfèvre…
L’abricot confit reste le plus cher car on doit l’évider entièrement puis le fourrer avec de minuscules morceaux d’abricots pour le bomber et le rendre plus moelleux. Ce travail de Titan absorbe Denis, expert dans l’utilisation de l’écumoir et du pinceau à glaçage !
Des lieux chargés d’histoire: Mérindol et le Luberon vaudois
Le Vaucluse a connu les invasions des barbares, les édifications romaines et a su également être une terre d’accueil pour les Vaudois, minorité protestante originaire de Lyon qui fut persécutée, et qui réussit à faire prospérer les villages par son savoir-faire et son dur labeur.
Terre des mûriers et des oliviers, Merindol fut connue pour ses magnaneraies et sa culture d’oliviers produisant plus spécifiquement l’aglandeau, variété d’olive particulièrement résistante au mistral. Les cocons de vers à soie, vendus sur les marchés, étaient envoyés dans les soieries de Lyon par voie fluviale sur la Durance. Mais Mérindol fut aussi le chemin historique des Vaudois persécutés par l’église, qui s’y réfugièrent pour péréniser leur communauté.
L’origine des Vaudois remonte au XIIème siècle. Cette minorité religieuse, excommuniée par l’Eglise catholique, constitua un mouvement de retour à la vie spirituelle. En 1170 un riche lyonnais du nom de Valdo se dessaisit de tous ses biens en les donnant aux pauvres et devient prêcheur itinérant. Le mouvement des «Pauvres de Lyon» était né. Ce courant de pensée va être rejeté par le clergé et les disciples de Valdo se disperseront vers le sud et l’est de la France. Ils seront désormais considérés comme des hérétiques. Les Vaudois vivront dans la clandestinité, véritables «contrebandiers de l’évangile». L’Inquisition n’arrangera pas leur situation: les Vaudois seront éradiqués dans plusieurs régions et ne pourront que vivre dans des zones retirées et montagneuses: vallées alpines, bohème et Calabre dans le sud de l’Italie.
Ces hommes étaient les prédécesseurs des protestants. A la fin du XVème siècle, on va connaître la grande peste et les pillages. En Provence beaucoup de terres sont abandonnées, les seigneurs du Luberon font venir les paysans des vallées alpines en leur donnant des contrats collectifs sous forme d’attribution de terres, de lieux à bâtir avec, en contrepartie, l’instauration d‘impôts sur les récoltes et un droit d’usage sur les moulins et le four des villages. C’est ainsi que dans le Luberon vont apparaître les bastides dans les campagnes et un aménagement du territoire encore présent de nos jours.
Dans le sud Luberon on trouve une trentaine de villages vaudois: Gordes, Roussillon, Mérindol. Une grande partie du patrimoine de Provence provient de leur présence. Les églises et les maisons seront utilisées pour le culte. Mais bientôt la répression reprendra contre cette communauté et un arrêt royal de 1663 ordonnera la destruction de tous les temples de culte en Provence à l’exception de cinq d’entre eux (dont celui de Mérindol).
Les fugitifs vaudois de Provence s’exileront en Savoie, en Suisse et en Allemagne. Il faudra attendre jusqu’en 1775 pour que soit pratiquée une politique de tolérance à leur égard. On peut visiter aujourd’hui le Centre d’Evocation de l’Histoire vaudoise de Mérindol qui était à l’origine une bergerie entourée d’une oliveraie. Le Conseil Général y a créé un petit musée (la Muse) géré par l’association d’études vaudoises. Par ailleurs le Moulin à huile Boudoire, situé dans un ancien Temple vaudois, vous fera découvrir l’histoire de cette communauté dans le Lubéron.
La Muse, ancienne bergerie, appartient à la commune de Mérindol qui travaille actuellement à la rénovation du Mémorial des vaudois situé sur les hauteurs du village.
Depuis Merindol en passant par une draille, (en provençal cela veut dire «le chemin le plus court»), on peut rejoindre les ruines du Mémorial des Vaudois. Cette zone constitue la partie ancienne et en ruines qui domine la Vallée de la Durance. Après de nombreuses invasions et la peste ravageuse de 588, la population chercha progressivement à se relocaliser sur un lieu perché pour surveiller la plaine de la Durance.
Sur le sommet d’un éperon rocheux furent construits au début du 13ème siècle une tour, contre laquelle s’appuyait une chapelle. Le château seigneurial et ses enceintes furent édifiés un siècle plus tard. C’est l‘évêque de Marseille qui décida de louer ses terres aux nouveaux arrivants vaudois qui étaient d’honnêtes travailleurs. Mérindol fut alors l’un des endroits où les troupes protestantes se réfugièrent et cachèrent leur butin.
Le village habité était situé au-dessous du château mais aujourd’hui, au sein de l’actuel village de Merindol, on peut encore se promener dans le quartier des Bastides qui a conservé l’ancien moulin à huile et les lieux de rassemblements secrets des Vaudois.
Le Vieux village fut abandonné par ses habitants au cours du 19ème siècle. La balade sur l’éperon rocheux dominé par la chapelle en ruine est magnifique et avec un peu de chance on apercevra un aigle de Bonnelli, espèce protégée, faisant un vol de reconnaissance au-dessus du mémorial des Vaudois….
D’autres villages perchés plein de charme…
Non loin de là un chapelet de villages pittoresques se déroule au milieu des cyprès et des oliviers: Gordes classé parmi les plus beaux villages de France, Oppède le Vieux où vous pourrez croiser la céramiste Olivia Trégaud et le potier Denis Bouniard ainsi que le village de Roussillon, situé dans la vallée du Calavon-Coulon. Ici tout est affaire de couleurs et les artistes provençaux utilisent une palette inventive. Roussillon a un conservatoire des ocres où se fournissent artistes-peintres et fresquistes, quant à Denis qui travaille essentiellement le gré dans son atelier à Oppède, il n’hésitera pas à expérimenter la cendre de noyaux d’olives pour ses émaux.
Cet alchimiste des couleurs utilise différents minéraux, oxydes de fer et silice en les faisant cuire à 1300 degrés. Ces émaux lui rappellent le bleu des lagons sous un ciel d’orage et les îles polynésiennes où il a vécu près de 2 ans.
Quant à Olivia, amoureuse de la nature, elle travaille bénévolement dans un centre de sauvegarde d’oiseaux. De retour à l’atelier ses croquis lui insuffleront une bonne dose de créativité pour ses sculptures animalières et ses luminaires. Elle travaille ses couleurs avec des engobes, mélange de poudre de porcelaine dans laquelle elle rajoute des oxydes jaunes, bleus avant de les cuire à 1300 degrés…
A Oppède le Vieux, ancien bailli du Comtat Venaissin, le patrimoine a bénéficié de diverses opérations de sauvegarde, notamment la collégiale Notre Dame d’Alidon qui a été restaurée grâce aux spectacles de l’Oppède Festival, association parrainée par Michel Leeb dont les recettes sont utilisées pour la conservation de cette architecture. Le charme du village réside dans ses ruelles ponctuées de petites échoppes. Ces villages qui craignaient les invasions répétées, s’étaient organisés autour d’un promontoire ou oppidum. L’arrivée sur Gordes par la route est assez spectaculaire, notamment au lever du soleil où la pierre sèche des maisons est rougeoyante.
Cavaillon la Romaine
Cavaillon constitue la porte d’entrée du Parc naturel du Luberon. Elle a la particularité d’avoir la colline St-Jacques qui se dresse au milieu de la ville. Cette hauteur est une partie détachée du massif du Luberon derrière laquelle coule la Durance permettant un accès par voie fluviale. La ville a été fondée par les Romains et la Durance favorisera leurs échanges commerciaux avec Marseille..
La voie d’eau encouragera leurs activités commerciales avec Marseille. A cette époque, un système d’irrigation sera mis en place par les romains pour l‘agriculture. L’arc Marius que l’on peut visiter dans le centre ville de Cavaillon a été déplacé au 19ème siècle sur l’ancienne place du marché aux melons et servait à marquer le croisement des 2 voies principales sur le forum romain. Des décorations de feuilles d’acanthe, d’oiseaux, de papillons et de fleurs sont encore visibles à la surface de la pierre. Ces motifs ont d’ailleurs inspiré les sculpteurs au XIIème siècle pour la décoration de la frise située sous la toiture de la cathédrale. Le terrain était marécageux ce qui explique que toute la base de l’arc a été longtemps enterrée sous le sol. Un escalier mène à la chapelle romane provençale sur la colline et servait de halte sur le chemin de St-Jacques de Compostelle ainsi que de point de guet pour surveiller les incendies. Ici en Provence la coquille St-Jacques est un motif de décoration très présent qui date du XVIII. Plus haut démarre une via ferrata depuis laquelle on a une vue impressionnante sur la ville de Cavaillon. Elle a eu l’année dernière une fréquentation de plus de 20 000 personnes.
© Office de Tourisme de Cavaillon
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Guide pratique
Pour accéder à Cavaillon : TGV Paris Avignon
Visites à Cavaillon:
La Chapelle et l’ermitage St Jacques,colline St Jacques
La Cathédrale Notre-Dame et St Véran, place Joseph d’Arbaud
La synagogue-Musée classée du 18ème siècle, rue Hébraïque
S’essayer à la Via Ferrata/ inscriptions au 04 90 72 26 86
Chambre d’hôtes «Le Mas des Amandiers» à Cavaillon.
Tel: 06 21 90 80 21
www.mas-des-amandiers.com
Se délecter avec des macarons melon-safran et des thés du monde:
Atelier des saveurs
149 Rue de la République-84300 Cavaillon
www.latelierdecavaillon.fr
Bonsoir Katherine !
Bravo et merci pour cet article magnifique et plein de saveurs et de couleurs.
Ce qui est amusant c’est que c’est chez moi, mon territoire. Et je le redécouvre avec vous d’une différente façon. L’envieque vous avez donné aux autres d’y aller j’en suis sûr les comblera !
Bonnes fêtes de fin d’année. Et Joyeux Noël.
Fabrice
Je suis heureuse d’avoir été une bonne Ambassadrice pour parler de votre magnifique région!
C’est un joli cadeau pour mon anniversaire ce 20 Décembre!
merci pour cette balade pleine de saveurs et de beauté.
jean-yves