L’exposition À la Mode, l’art de paraître au 18 ème siècle est présentée jusqu’au 22 Août au Musée des Beaux-arts de Dijon après avoir été inaugurée au Musée d’arts de Nantes entre Novembre 2021 et Mars 2022. On découvre ici les interférences entre l’univers de la mode et de la peinture durant le siècle des Lumières. Les artistes vont s’approprier les modèles pour les faire figurer dans leurs oeuvres. L’exposition a requis une importante scénographie contextualisée, se développant au rythme de quatre chapitres: accélération des phénomènes de mode, les peintres » créateurs de mode », les fantaisies d’artistes et le négligé-déshabillé. Plus de 140 objets du 18 è siècle ont été réunis, issus de différents musées textiles français: Palais Galliéra, Musée des tissus de Lyon, Musée de la toile de Jouy ou encore Musée de la Chemiserie et de l’élégance Masculine d’ Argenton. De nombreux éléments ont également été prêtés par le château de Versailles, le Louvre et le château d’Ecouen .
De l’appropriation de la mode
La première section traite des effets d’appropriation de la mode dans les classes aisées de la société. Le public se retrouvera en face à face dès l’entrée de l’exposition avec l’impressionnant portrait de Madame Sophie, une des huit filles de Louis XV et de Marie Leszczynska , exécuté par Jean-Marc Nattier. Élevée avec ses soeurs loin de la cour, Sophie intégrera l’abbaye de Fontevraud, éloignée de sa famille pendant plus de 10 ans. Ce travail de commande a été demandé par la reine elle-même. Le peintre, après avoir peint le visage de la jeune femme sur place. de retour à son atelier, habille la jeune femme en vêtement de cour dans une robe brodée de fils d’or et d’argent alors qu’elle a intégré une abbaye. De nombreux portraitistes s’entourent d’accessoires tels que des étoffes de taffetas et de satin pour réaliser des mises en scène spectaculaires de leurs modèles. Le Musée des Beaux-Arts de Dijon croise les informations en présentant un certain nombre de pièces textiles en rapport avec les tableaux présentés. On trouve en vitrine des pièces d’estomac, ce sont des éléments amovibles, en forme de triangle se plaçant au niveau du buste. Ces pièces textiles brodées étaient cousues par dessus le vêtement et étaient interchangeables.
Jean-Marc Nattier,Madame Sophie de France 1748, huile sur toile © Versailles,musée national des châteaux de Versailles et du Trianon
Durant la seconde moitié du 18è siècle on va assister à une vraie révolution sociale concernant la création de nouveaux métiers de la mode. Ainsi la marchande de mode aura un rôle important, proposant diverses étoffes, et accessoires de mode à ses clientes. Mademoiselle Bertin sera la plus iconique d’entres elles et attachée au service de la reine Marie-Antoinette. Au départ cette appellation ne désigne qu’un « talent » reconnu aux épouses de marchands merciers. À cette époque, la confection du corps du vêtement est le monopole des tailleurs et des couturières. Les marchandes de mode interviendront sur l’ornementation des vêtements existants, mettant à disposition plumes, dentelles et coiffes. Elles peuvent également fabriquer certaines pièces et accessoires. Une très belle gravure réalisée par François Boucher nous invite à explorer une scène entre une cliente et sa marchande de modes la conseillant et lui proposant divers articles .
René Gaillard d’après François Boucher,La marchande de modes,1755,eau forte et burin sur papier © Musée du Louvre
Les peintres, véritables influenceurs de la mode
C’est avec l’apparition du gilet masculin, successeur du pourpoint, que les broderies intégrées à cet élément de mode sont imaginées et conçues sous la forme de maquettes représentant de multiples motifs textiles. Détails inspirés par la nature ou roses, de style rococo, brodés sur le devant des gilets et sur les boutonnières, justifieront le prix souvent exorbitant de cet article de mode masculin. Le gilet sera très influencé par sa première apparition en Angleterre. Les différents accessoires de mode seront illustrés avec des miniatures, reproductions fidèles des peintures contemporaines et les peintres collaboreront à la toute nouvelle presse de la mode.
Maquette pour broderie de gilets, gouache, encres noire et rouge, papier vergé © Palais Galliéra,Musée de mal Mode de la ville de Paris
Gilet d’homme brodé © Palais Galliéra © K.Hibbs
Tabatière peinte© K.Hibbs
Augustin de St Aubin-Grande robe à la française garnie d’entrelacs de gaze-1er cahier de grandes robes d’étiquette vers 1787 © K.Hibbs
Les Fantaisies d’artistes
Il faut remettre la mode dans le contexte social et politique de l’époque: le règne de Louis XV s’illustrera par une période de gaité, de liberté d’esprit voire de libertinage et de frivolité. Les tons pastels et les couleurs claires s’imposent, les divertissements prennent une place importante, cultivant la mondanité à travers le théâtre, les bals et la mode. Les peintres investissent des mondes imaginaires teintés de fêtes galantes, faisant également référence à la Commedia dell’arte. François Boucher va nous embarquer dans un univers champêtre et des portraits de « Belles jardinières » avec Madame de Pompadour.
Les femmes de la haute société verront leur silhouette totalement remodelée par des corps à baleines et des robes à panier. Ceux-ci contribuent en premier lieu à modeler une silhouette répondant aux normes de la beauté de l’époque, la taille se révèle fine et les décolletés mettent en valeur « une gorge élevée, ferme et bien arrondie » comme l’écrira la romancière Félicité de Genlis.
Portrait de Femme,1755 ,huile sur toile de Donatien Nonotte-Musée des beau-arts de Dijon © François Jay
Atelier de Jean-Baptiste Oudry, Comédiens italiens dans un parc vers 1710, Bordeaux © Mairie de Bordeaux© F.Deval
L’apparition du négligé-déshabillé
Les peintres vont exécuter des portraits d’hommes et de femmes plus intimes. On verra l’apparition de robes de chambre très luxueuses coupées dans des tissus précieux pour la gente masculine. Ce vêtement est associé à l’homme de science ou encore au philosophe représenté à sa table de travail dans son intimité. Diderot écrira un texte magnifique Regrets sur ma vieille robe de chambre , expliquant la relation intime qu’il entretenait avec elle. Une de ses proches amies, Marie-Thérèse Geoffrin, crut, à tord, lui faire plaisir en lui remplaçant toute sa vieille garde robe.
« Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau. L’autre, raide, empesée, me mannequine. Il n’y avait aucun besoin auquel sa complaisance ne se prêtât ; car l’indigence est presque toujours officieuse. Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus. Ces longues raies annonçaient le littérateur, l’écrivain, l’homme qui travaille. À présent, j’ai l’air d’un riche fainéant ; on ne sait qui je suis. Sous son abri, je ne redoutais ni la maladresse d’un valet, ni la mienne, ni les éclats du feu, ni la chute de l’eau. J’étais le maître absolu de ma vieille robe de chambre ; je suis devenu l’esclave de la nouvelle « .
Ce vêtement d’intérieur aura un second usage au cours du 18 è siècle lorsque les dames l’adopteront pour sortir en société.
Carle Van Loo- Portrait d’un inconnu du règne de Louis XV vers 1745-1750, Versailles, château de Versailles de Trianon©Château de Versailles-Christophe Fouin
Jean-François de Troy-Le Rendez-vous à la fontaine L’Alarme-1727(?) -Londres-Victoria & Albert Muséum © K.Hibbs
Peu à peu les peintres des Lumières vont évoquer l’intime à travers la mode du négligé-déshabillé. La représentation sociale dans les portraits se trouve érotisée à travers divers symboles. Les linges et chemises de corps ( pour les hommes et les femmes) nous dévoilent discrètement les arrière-pensées secrètes des personnages représentés. Jean-Honoré Fragonard est connu pour ses peintures de scènes galantes et allusives. Les habits blancs et les cotonnades auparavant utilisés principalement pour le linge de corps se généralisent. Ainsi est instituée la robe-chemise, resserrée à la taille par un ruban ,que l’on enfile par la tête et qui se porte sans panier sur un corset. La mode va se référer de plus en plus aux modèles épurés de l’Antiquité.
Anonyme d’après Jean-Honoré Fragonard -Le Baiser à la dérobée-après 1787, huile marouflée sur cuivre-Musée des Beaux-arts de Dijon © K.Hibbs
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