Il fait bon d’être à Auch pour profiter de l’extraordinaire été indien mais surtout pour y découvrir le 34ème Festival du cirque actuel CIRca, un des 13 pôles nationaux du cirque en France.L’affiche, créé par la talentueuse Elza Lacoste, révèle un arbre solidement enraciné en terre occitane où se nichent des chapiteaux de cirque dans un feuillage aux tons flamboyants. Du 21 au 30 Octobre prochain le public pourra s’immerger dans pas moins de 23 spectacles proposés par des professionnels ainsi que 12 spectacles d’écoles de cirque dans 15 lieux différents. C’est aussi grâce à 200 bénévoles que l’on profitera d’une logistique très maîtrisée et soucieuse de satisfaire aussi bien les circassiens que le public et les professionnels du spectacle.
Après cette longue période d’isolement forcé, se retrouver a été réellement fusionnel mais aussi une interrogation tantôt poétique tantôt sombre et fataliste, sur le monde de demain au sein de certains spectacles présentés durant cette très belle édition.
34 ème Festival du cirque actuel CIRca/aufildeslieux.fr/ vue du site ©CIRca
Les Hauts plateaux-Mathurin Bolze et la compagnie MPTA
Le premier spectacle vu au Dôme de Gascogne décline un impressionnant dispositif composé de trampolines, de plateaux volants et d’agrès en suspension. Une phrase revient en light motive,de façon obssessionnelle: « oublier ou se souvenir ». Sept circassiens se partagent un monde réinventé, des bandes adverses s’affrontent sur un terrain de jeu dans des joutes de voltige en extérieur. Plus bas dans les bas-fonds on survit, s’accrochant à des structures improvisées, à la manière des chauve-souris. Un homme s’accroche au décor, luttant pour ne pas être aspiré par une machine infernale. On assiste au lent naufrage de l’humanité constituée par cinq hommes et deux femmes. Une balancelle sert de radeau de survie, effectuant une lente descente vers le chaos. Le monde de demain est désormais réinventé dans la résilience et également dans une magnifique séquence aérienne où une jeune femme rampe le long d’une immense échelle pour atteindre la cime des arbres se découpant sur un fond céruléen. Cette quête environnementale nous décrit un monde vidé de sa substance et de ses richesses. Le décor transformé et épuré est prétexte à de multiples variations acrobatiques réinventant le monde de demain.
Les hauts plateaux – Mathurin Bolze Cie MPTA – © Christophe Raynaud De Lage
080 (zero quatre-vingt) par la Cie H. M. G
Nous sommes ici transportés dans un no man’s land privé de repères. Une matrice géante déployée dans un tissu noir descend progressivement vers le sol vomissant des jets de sable et un être singulier. Il n’y a aucun code d’identité genrée, ici rien n’est normatif. Prise de conscience d’un corps qui se palpe pour définir sa réalité, échange de sa respiration qui s’adapte progressivement au milieu ambiant en émettant des sons proches de ceux d’une voix de gorge.
Le personnage, lisse et sans codes, découvre son double, son alter ego. Un ballet s’enchaîne, les opposant puis les faisant fusionner dans une étreinte. Sentir l’autre, découvrir sa propre existence dans la projection de son ombre. Quand celle-ci disparaît, la solitude s’installe et l’on assiste à une magnifique remontée dans le temps décrite à travers un subtile jeu de lumières. Le son d’une marche funèbre envahit l’espace et les plis noirs d’une mer aux vagues déferlantes engloutit le personnage dans un cycle sans fin. Du zéro du néant au huit de l’infini on retourne au Néant. Le spectacle 080 remet en question, avec une grande poésie, le raisonnement normatif de notre société.
080 – Cie H.M.G © Sébastien Armengol
Le festival nous offre également le visage du défi à son propre corps et à tous ses champs du possible. Quel bonheur de retrouver dans une succession de tableaux enchaînant sauts, portées et équilibres, n’autorisant aucun décalage dans la synchronisation des circassiens, la jeune compagnie australienne Gravity & other myths. Six garçons et deux filles nous embarquent dans un jeu de mikado humain, de battles de saltos avant et arrière et une exploration infinie des possibilités du corps humain. Il faut là une sacrée dose de confiance entre ces protagonistes sans oublier l’étonnant musicien batteur avec un solo de taping résonnant sur tout son corps. Nous retiendrons le très joli tableau d’une jeune circassienne exécutant des portées au-dessus d’une surface de mains posées comme des nénuphars sur l’eau. On ressort du spectacle électrisé par cet enchaînement de prouesses de très haut niveau.
A Simple Space 1 © Andy Phillipson
Oraison de la compagnie Rasposo au Parc de la Boubée
Cette compagnie établie non loin de Châlons sur Saône a eu un incroyable parcours artistique. Petite entreprise familiale sur 3 générations, ici, chacun a sa place et excelle dans sa spécialité.
Marie Molliens suspendue sur son fil résiste à toutes les agressions du monde extérieur: câbles électrifiés déversés sur son dos ou météorites crachées depuis les entrailles du ciel, elle résiste et progresse. Fanny, la mère, maltraite un clown blanc shooté au popcorn qui se livre corps et âme au lancer de couteaux de sa tortionnaire. Le cirque criard, bruyant et rutilant meurt lentement. La mise en scène et les éclairages sont des réminiscences de la dualité entre les paillettes et une certaine vision terrifiante du spectacle façon Mulholland Drive: visages blafards, musique assourdissante et décor déconstruit. Le cirque meurt et renaît de ses cendres sauvé par les pensées poétiques en nous offrant un tableau final onirique et transgénérationel. À suivre…
Oraison©ryo ichii
La Mondiale générale
Une incroyable conversation en équilibre fragile sur un bastaing de bois. La vie suit son cours malgré cette contrainte d’équilibre extrême entre ces deux corps entrelacés. On évoque Mamichat, la destination finale de l’escargot en retrait dans sa coquille ou encore le nom originel du Capitaine Crochet avant qu’il ne perde son bras. Les 2 circassiens décrivent leurs manoeuvres respectives: « Ça me fait du bien de revenir au-dessus… Faut que je décrispe mes doigts de pied… » sur fond de transmissions à travers des transistors accrochés dans la salle. Un perchiste décrit inlassablement un ballet silencieux autour des 2 compères comme s’il s’agissait d’une séquencé cinématographique.Ce spectacle explore les sons dans tous leurs états entre murmures, distorsions à travers des transistors et conversations ordinaires.
Rapprochons-nous – La Mondiale générale ©Pierre Barbier
Der Lauf
Ce spectacle version cabaret et très loufoque est intronisé par deux hommes à tête de seau en costumes gris. L’ambiance est rythmée par des bourdonnements de drones et de sons amplifiés de vaisselle brisée. Une succession de performances, interagissant avec un public tantôt protecteur tantôt empreint d’une grande férocité nous font notamment partager une partie d’échecs tout à fait inédite. Ici les figures sont incarnées par des verres à pied et des briques. Les pièces se chevauchent dangereusement d’autant plus qu’elles sont manipulées…avec des gants de boxe flamboyants! Guy,principal interprète de ces jongleries de forme atypique confie que » c’est un esprit de combat contre soi-même avec un double qui vient tout contrecarrer! » . Cinq séquences hilarantes et absurdes nous guident imperceptiblement sur un chemin imprévisible semé d’embûches. Le cirque du bout du monde (oui c’est le nom de la compagnie!) nous embarque durant 1 heure dans l’univers déjanté de l’artiste belge et créateur du spectacle Guy Waerenburgh et de ses 2 acolytes Éric Longequel et Bram Dobbelaere.
Vélocimanes Associés Le Cirque du bout du monde © Lena Politowski
Les illustrations de Kämy Dobi
Au sein du foyer juste à côté de la billeterie de CIRca, les oeuvres de l’illustratrice occitane Kämy Dobi attirent le regard. Ce travail artistique s’inscrit dans le cadre de SCoM, compagnie circassienne pour le jeune public. Coline Garcia qui en est la directrice artistique et la metteuse en piste, nous confie que » l’iconographie autour du cirque a un réel besoin d’évoluer auprès du jeune public. Nous avons créé un livre pour les enfants à partir de 6 ans où ceux-ci découvrent une autre et très actuelle réalité du milieu circassien. Ici papa est à la maison et maman part en tournée avec le cirque. Nous souhaitions renforcer l’Egalité homme-femme dans cet univers qui a toujours eu tendance à sexualiser le rôle des femmes ! Jusqu’à présent les messages iconographiques étaient dommageables et n’insistaient pas suffisamment sur la mixité et la parité dans le monde du cirque. Notre compagnie SCoM développe une démarche de création militante en veillant notamment à développer des rôles mixtes dans nos créations« .
Maintenant le cirque ! ©Kämy Dobi
L’illustratrice Kämy Dobi dans le cadre de son exposition Maintenant le cirque ! a réalisé ses dessins en noir et blanc sur papier pour ensuite les retravailler sur tablette numérique avec des échantillons de tissus numérisés. La matière des tissus servira à la mise en couleur des dessins.
L’exposition présentée à CIRca est une introduction à la sortie au printemps 2022 d’une encyclopédie dédiée au cirque contemporain aux éditions ACTE SUD.
Maintenant le cirque ! © Kämy Dobi
Rencontre avec Stéphanie Bulteau, Directrice du Festival CIRca
Dans le cadre chaleureux d’un bureau tout en bois clair, Stéphanie Bulteau nous a accordé un entretien sur sa vision du monde du cirque. Arrivée depuis peu au pôle CIRca d’Occitanie, Stéphanie a dirigé Le Séchoir à Saint Leu sur l’île de la Réunion ainsi que le Tempo festival dédié aux arts du cirque. « Aujourd’hui nous sommes face à un art démontrant une incroyable vitalité et une force à rencontrer les publics. C’est à mes yeux aujourd’hui, l’expression artistique la plus singulière au sein du spectacle vivant. Sur cette édition du festival, on peut noter l’arrivée d’un cirque documentaire qui révéle la parole intime des circassiens« .
Time to tell – ©ChristopheRaynaudDeLage
Time To Tell de Martin Palisse et David Gauchard évoque le récit d’un jongleur sous l’emprise de la mucoviscidose, M. E. M. M d’Alice Barraud et Raphaël de Pressigny, écrit et mis en scène par Sky de Sela nous transporte dans la reconstruction d’une artiste-acrobate, blessée au bras durant les attentats de Novembre 2015 à Paris. Le spectacle Robert n’a pas de paillettes d’Arthur Sidoroff accompagné du musicien Thomas Caillou, quant à lui, décrit le chemin de vie instable sur un fil d’acier de l’artiste dans cette toute première création.
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Festival CIRca
34 ème édition
Du 21 au 30 Octobre 2021/Auch
www.circa.auch.fr
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